Malakine, dans un article longuet publié ici, nous enjoint de ne plus l’appeler « républicain »[1. Egalement publié sur son blog]. Il a essayé de s’indigner et a cherché laborieusement à nous le faire savoir, avec des qualificatifs explosifs, des adjectifs humiliants, et des expressions à nous faire périr de honte : un article l’a « révulsé », il a déniché un « amalgame abject », voire un « agrégat d’horreurs » !
Je m’étonne que Malakine croie pouvoir écrire des choses intéressantes, alors qu’il déclare : « en tant que provincial qui vit dans une ville de l’Est autrefois germanique et peu concernée par les flux migratoires issus de l’ancien empire colonial, je ne constate rien de ce que dénoncent les identitaires dans ma vie quotidienne. […] Je serais donc très tenté de minimiser les problèmes pour les circonscrire à cette immense zone pathogène et déshumanisée qu’est devenue la banlieue parisienne. » Ah, indigence, quand tu nous tiens ! Quand on avoue aussi benoîtement ne pas avoir d’imagination et ne pas savoir s’élever au-dessus de sa perception quotidienne de son environnement limité, des dissertations sur la France, l’Europe, voire l’état du monde, exposent à des risques de ridicule non négligeables. Monsieur Malakine, vous qui nous promettez « un travail politique de fond », qui voulez consacrer « la période estivale » à écrire « une série de billets thématiques en formes (sic) de grands débats de l’été », prenez plutôt des vacances ! Il y a mieux à faire de son été que de prêter à rire.
Nommer les choses, est-ce les fabriquer ?
Dans l’oiseuse page consacrée à Riposte Laïque, dont je m’honore d’être un rédacteur[2. www.philo-conseil.fr], deux reproches ont un semblant de sérieux. Le premier, c’est de procéder à des amalgames « entre des sujets liés, peut-être corrélés statistiquement, mais qui devraient être strictement isolés dans l’analyse. » Malakine n’aime pas que nous cherchions le point commun entre tous les différents problèmes de la France. Il aime la division du travail, la segmentation des problèmes, la technique du salami. Il trouve « abject » que nous trouvions un point commun entre les problèmes d’incivilité, les atteintes à la laïcité, les problèmes d’assimilation, les actes de barbarie, etc. Or, ce qui n’est absolument pas clair d’après sa prose, c’est s’il nous reproche d’inventer ce point commun, ou bien de simplement le nommer. Le référent de notre discours existe-t-il ou bien est-il seulement un effet de langage ? L’impression qui s’en dégage, c’est que nous aurions le pouvoir magique d’inventer la cause commune des malheurs de la France, parce que nous la nommons. C’est ainsi qu’il peut écrire sans trembler que nous « stigmatisons des phénomènes sociaux » ! Voilà du nouveau : le lynchage, la lapidation, les crimes d’honneurs, la polygamie, l’excision, la terreur imposées par les bandes sont des « phénomènes sociaux stigmatisés » !
C’est de cela que nous accuse M. Malakine : de penser une synthèse des problèmes sociaux et culturels qui défraient de plus en plus souvent la chronique, de désigner des responsables et des coupables. Il ne faut pas penser cela, nous dit-il, parce que cela nous amènerait à envisager la guerre civile. Or, la guerre civile, c’est la deuxième chose que nous ne devons pas penser. Monsieur Malakine est « tenté d’affirmer qu’un vrai républicain ne peut que refuser cette perspective ». Prions pour qu’il ne soit pas soumis à la tentation !
Là encore, d’après sa prose confusionniste, nous ne savons pas si effleurer l’idée de la guerre civile est en soi un crimepensée, si c’est une idée délirante compte tenu de la merveilleuse situation objective de la France, si c’est une intention qu’il dénonce dans nos propos, ou bien encore une fois s’il ne nous prête pas des pouvoirs surnaturels de déclenchement de la guerre civile par sa simple invocation. Sans doute sommes-nous coupables d’un peu tout cela à la fois.
Pour éviter la guerre civile, il faut savoir qu’elle est un avenir possible
Dans les brumes de son esprit, notre contempteur butte sur un écueil courant, contre lequel viennent se fracasser la plupart des bonnes intentions politiques qui souhaiteraient agir afin d’éviter le pire. Cette pierre d’achoppement, c’est l’apparent paradoxe qui consiste à tenir pour certain un avenir sombre, afin de tout faire pour l’éviter, paradoxe que Jean-Pierre Dupuy a appelé le « paradoxe de Jonas ». « Tout prophète de malheur doit annoncer la catastrophe future comme étant inscrite dans l’avenir inéluctable, mais cela afin qu’elle ne se produise pas ! Le Jonas de la Bible préfère s’enfuir : on sait ce qu’il lui en coûtera ! Le même paradoxe est au cœur d’une figure classique de la littérature et de la philosophie, celle du juge meurtrier. Le juge meurtrier « neutralise » (assassine) les criminels dont il est écrit qu’ils vont commettre un crime, mais la neutralisation en question fait précisément que le crime ne sera pas commis ! L’intuition nous dit que le paradoxe provient d’un bouclage qui devrait se faire et ne se fait pas, entre la prévision passée et l’événement futur : « Ce n’est pas l’avenir si on l’empêche de se réaliser ! » (Minority Report) Mais l’idée même de ce bouclage ne fait aucunement sens dans notre métaphysique ordinaire, comme le montre la structure métaphysique de la prévention. Lorsqu’on annonce, afin de l’éviter, qu’une catastrophe est sur le chemin, cette annonce n’a pas le statut d’une pré-vision, au sens strict du terme : elle ne prétend pas dire ce que sera l’avenir, mais simplement ce qu’il aurait été s’il l’on n’y avait pas pris garde. Aucune condition de bouclage n’intervient ici : l’avenir annoncé n’a pas à coïncider avec l’avenir actuel, l’anticipation n’a pas à se réaliser, car l’« avenir » annoncé ou anticipé n’est de fait pas l’avenir du tout, mais un monde possible qui est et restera non actuel. »[3. La marque du sacré, Edition Carnets Nord, 2008, p. 249-250]
Si nous pensons que la guerre civile est un avenir possible de la France, ce n’est pas parce que nous le souhaitons, mais bien parce que nous voulons l’éviter. C’est parce que nous tenons cette possibilité horrible pour très probable, que nous l’annonçons, afin de tout faire pour empêcher qu’elle ne s’actualise. Ceux qui ne veulent pas envisager le pire, pour ne « pas jeter de l’huile sur le feu », pour ne pas « répondre à l’intolérance par l’intolérance », laissent s’accomplir la catastrophe, parce qu’ils croient au « bouclage entre prévision et événement futur ». C’est pourquoi ils s’efforcent, en autruches ensorcelantes, d’envisager toujours un avenir radieux, malgré tous les signes contraires, faisant fi de la distinction entre possible et probable, pensant que leurs projections optimistes et leurs vœux pieux agissent efficacement sur la réalité.
Pris dans cette conception littéralement magique qui croit à l’influence directe de la pensée sur la réalité, les phobophobes tels que Malakine ont pour tout programme la dénonciation de la dénonciation de l’Ennemi. Il n’y a pas de mal, dans le monde, il n’y a que du malheur, dans la langue de bois de notre angélique blogueur : « L’Ennemi n’est pas intérieur. Il est dans les structures de la domination économique mise en place l’Empire américain et les élites mondialisées via le désarmement méticuleux des puissances publiques et la corruption des processus démocratiques par la pensée unique et la bien-pensance moraliste. » Nous voilà retombés dans la déresponsabilisation généralisée, selon laquelle toutes les âmes sont grises, et qui déteste forcément la morale, car celle-ci ne saurait se passer d’un sujet responsable et accusable. Ainsi achève-t-on de déshumaniser les hommes, les hommes coupables, « les barbares », en murant la seule porte de leur esprit qui donnait sur la civilisation : la honte.
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